Le petit grain

(Vessiot) - extrait de "Pour nos filles" 1895

On sème le grain :

La terre en son sein,

Jalouse, le garde

Ainsi qu'un trésor.

Quelque temps il dort;

Mais bientôt, regarde,

Il s'éveille, il sort.

D'herbe tendre et fine

C'est un petit brin

Que le vent incline,

Mais qui ne craint rien ...

Sa tige s'élève

En s'affermissant ;

Il pompe la sève

Du sol nourrissant ;

Il boit la rosée,

Le soleil, l'ondée :

Le voilà grandi.

Il jette un épi

Que le soleil dore;

Quelques jours encore,

Il aura mûri.

Allons, jeunes filles

Et jeunes garçons,

Prenez vos faucilles;

L'heure des moissons

Aux champs vous appelle ;

Coupez la javelle

Au bruit des chansons.

Maintenant qu'on lie

La gerbe en chantant :

L'attelage attend.

Sur l'essieu qui crie

Par les chemins creux,

Les bœufs vigoureux

Dans le char qui plie

Nous l'amèneront.

.../...

.../...

Ouvrez-nous la grange.

Qu'avec soin l'on range

Les gerbes en rond.

Batteurs, vite en place,

C'est à votre tour.

Dès le point du jour

Vous que rien ne lasse,

Levez le fléau,

Levez ferme et haut...

Buvez avec joie,

Pendant qu'au moulin

La meule nous broie

Le précieux grain ...

Ménagère active,

Ouvre le pétrin.

La farine arrive,

As-tu du levain ?

Dans le four qui brille

Le fagot pétille ...

Le four est brûlant.

De l'ardente niche

Sort enfin la miche;

Vive le pain blanc !

A peine on le mange

Que de forme il change,

Devient chair et sang,

Sang rouge et chair rose.

L'incroyable chose!

Le voilà vivant.

Du sein de la terre

Au sang de l'artère

Il fait du chemin ;

Et je ne sais comme,

Il finit, en somme,

Par devenir homme,

Le bon petit grain.